Retour sur mon travail et comment je réalise mes reportages qui, par moment, dégénèrent.

 

La photographie en reportage

 

Le reportage est une catégorie unique, et à part entière de la photographie. Vous ne pouvez pas vous permettre, en temps que portraitiste, photographe culinaire ou de paysage de dire « ce que t’as fait, c’est naze » ou « regarde, t’as coupé tel morceau sur l’image, c’est nul ».

Contrairement aux autres secteurs de la photographie où la plupart du temps on travail au calme, en studio, poser (exemple portraitiste, publicitaire, architecture..) le photographie de reportage, en particulier d’émeutes ou de manifestations importantes est très dangereuse. Le simple fait de sortir son appareil photo peut suffire à se faire agresser.

Chaque reportage étant unique, il convient dans un premier temps de bien comprendre qu’il peut se passer n’importe quoi, et que lorsque nous n’assistons pas aux événements, il devient dès lors très difficile de se permettre de l’ouvrir pour critiquer.

Au passage, cet article fait suite à un précédent qui lui concernait exclusivement le matériel que j’utilise dans ce genre d’événement. L’article est à lire ici.

 

Quels sont les éléments dangereux

dans une émeute ou une manif ?

 

Là où nous autres, photographes et journalistes, avons de la chance, c’est que nous sommes soumis aux 11 dangers suivants en permanence :

  • Lacrymogènes

Commençons par ma préférée, les lacrys. Le mec qui a pondu ça devait soit avoir une pression monstre de la part de sa direction, soit être complètement fêlé. Il existe plusieurs types de lacrymogènes, en gel, ou en gaz, et différents degrés de force.

Son intérêt est de permettre à la foule de se disperser très rapidement, sans causer le moindre dommage physiques aux éléments urbains ou aux personnes visés (à l’exception involontaire de personnes ayant des problèmes de santé, comme de l’asthme).

Concernant le gel, c’est le plus facile à éviter, mais le plus désagréable. Dans son application, ça ressemble à ça :

Evan Forget - (SR) - 2014
Evan Forget – (SR) – 2014

Voyez ça comme une bouteille de déo, en somme. Là où ça fait mal, c’est que ça reste bien dans les yeux vu que c’est la zone visée, et que l’effet est plutôt long à partir. La portée étant relativement courte, il est facile de l’éviter si on reste à bonne distance (ou à plus de 3-4 mètres) des forces de l’ordre.

L’autre type, c’est le format « nuage » comme ci-dessous :

Evan Forget - (SR) - 2014
Evan Forget – (SR) – 2014

Les Nantais reconnaitront probablement avec difficulté la Place du Commerce ci-dessus. Ce qui est horrible avec ça, c’est que ça se propage avec le vent, et que même en étant dans des rues adjacentes, vous pouvez ressentir cette odeur poivrée pour piquer les yeux et vous bruler les poumons. Encore pire, si vous êtes DEDANS comme c’est souvent le cas lorsqu’on prends des photos.

Le seul moyen de lutter contre ça, c’est d’avoir un masque à gaz, et de lunettes hermétiques pour ne pas que le liquide du format gel ou que la fumée du gaz ne rentre en contact avec vos yeux. Je me suis déjà retrouvé immobiliser près de 10 minutes, à cause d’un contact trop prolongé avec ces gaz et je vous assure que vous ne vous sentez pas bien du tout. Impossible d’ouvrir les yeux, de plus en plus compliquer de respirer, vous êtes du coup paniqué, et désorienté. Incapable de vous mettre seul à l’abris, et encore moins de faire ce pourquoi vous êtes là : des photos.

Masque à gaz et lunette que j'utilise.
Masque à gaz et lunette que j’utilise.

Si vous n’avez pas de masque, un keffieh ou un tissu (col de vêtement) pourrait vous aider à respirer sans vous arracher les poumons. En revanche pour les yeux, si vous n’avez rien, il n’y aura rien.

Certains utilisent du sérum physiologique pour nettoyer les yeux des personnes qui ont été en contact prolongé, mais ce n’est pas une bonne chose. Certes c’est efficace, mais également nocif.

Le coca lui, peut être une bonne alternative (sans rire).

  • Flashbang

C’est une grenade qui produit un flash extrêmement puissant et un bruit qui l’est encore d’avantage. Le problème ce n’est pas tant le flash dont l’effet se dissipe assez vite, c’est surtout la puissance de l’explosion sonore qui peut vous désorienter si elle explose trop près de vous. Second problème, lorsque vous avez l’oeil dans le viseur, ce sont vos oreilles qui vous permettent d’être prévenu de ce qui se passe autour. Là, pour le coup, vous allez avoir l’impression d’avoir un casque anti-bruit sur la tête, en plus de bouchons d’oreilles, pendant près de 5-15 minutes. Ce qui est très dangereux.

  • Agression

En règle général, les agressions surviendront d’avantage du côté des opposants. Les forces de l’ordre elles, vous arrêteront ou vous gazeront. Une agression est très dangereuse, car les esprits sont souvent échauffés avant même le début de l’événement. Beaucoup viennent en groupe après avoir bien fumé ou picolé, et avec les « combats » autour, la première cible qu’ils ont sous la main (vous) risque de passer un mauvais moment.

À titre personnel, j’ai, en Novembre 2012 sur la ZAD de Notre-Dame des Landes, été blessé par la projection volontaire d’un cocktail molotov sur la poitrine, dont je garderais toute ma vie une brûlure au 3ème degré. Bien qu’ayant grandement cicatrisé (à l’origine, une zone de 10cm x 7cm brûlée) il reste aujourd’hui une belle marque bien visible. La raison ? La personne en face à cru que j’étais un indic’ de la police, et que j’étais venu photographier son visage. Il n’a pas chercher à comprendre.

Vous voyez, même en France, il est possible d’être victime de ce genre de chose. Ne vous croyez pas à l’abri parce que l’émeute que vous prenez en photo se déroule à Nantes, Toulouse ou Paris.

Les esprits s’échauffent vite, et si vous n’avez pas le verbe habile, (ou de bonnes jambes !) il peut arriver que vous soyez, malgré vous, pris dans une situation compliqué. C’est pour cette raison que je recommande de toujours se déplacer par binôme. Pas forcément collé, mais au moins à porté de voix/vue.

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Evan Forget – (SR) – 2014
  • Vol

Complémentaire à l’agression, certains pourront juste vous volez votre matériel. Même si là, devant votre ordi vous vous dites que ça n’arrivera pas, croyez moi, une bande de 5 ou 6 jeunes face à vous dans une ruelle, avec des lacry autour et personne pour vous aider, ça va très vite. Même si les branleurs en face de vous connaissent rien à la photo, on sait tous qu’un bon appareil coute cher, et qu’il est facile de s’en débarrasser rapidement sur Internet. Ils peuvent aussi viser votre camera, votre smartphone, montre, bijou et j’en passe.

Plus discrètement, à la manière de pick-pocket, certains pourront aussi vous faire les poches sans que vous le remarquiez. Comme en festival ou dans n’importe quel lieu public, évitez de laisser quelque chose trop voyant, préféré un sac bien fermé toujours en visuel (sur le torse) ou des poches intérieur de veste.

  • Arrestation

Ayant déjà été arrêté l’appareil à la main, je parle en toute connaissance de cause : Là première fois, ça fait bizarre. Ce sentiment d’incompréhension, quand on voit que 20 mètres devant des jeunes vandalisent un magasin, et que le gars qui se fait arrêter, c’est pas celui qui, avec une barre de fer brisant la vitrine. Non, le gars qui se fait arrêter, c’est celui qui en prends plein la poire depuis le début et qui en plus de ça ne fait chier personne, avec un appareil photo, dans son coin.

 

Soyez calme.

 

Avant toute chose, garder bien à l’esprit que les mecs en face se sont fait insultés toute la journée, pris des projectiles en permanence, que la hiérarchie doit leur mettre une pression énorme, et qu’ils en ont gros. Alors vous énerver avec des « Putain mais vous êtes sérieux là ???!! » ne fera absolument pas avancer les choses.

Je sais, c’est dur. Surtout si vous êtes malmenés et bousculé par les forces de l’ordre (ou par un groupe de manifestants). Prenez le temps d’écoutez ce qu’ils vous disent. Restez calme, ne vous emportez pas, et présentez-vous. Sortez votre carte d’identité, prenez l’initiative d’ouvrir votre sac et montez que vous n’êtes pas un danger.

Si vous avez une carte, un accès, une accréditation particulière ou autre, présentez-la, en expliquant clairement et simplement qui vous êtes, ce que vous faites ici, et ce qu’il adviendra des photos par la suite.

Si déjà en face les gars écoutent quelqu’un qui ne sait pas s’exprimer, ou qui n’est pas capable de présenter l’organisme qu’il représente, ça ne peut que mal se passer.

Légalement, ils n’ont pas le droit de vous obliger à supprimer vos photos ou vos vidéos. Toutefois, je vais reprendre la citation d’une policier pour terminer ce chapitre et vous faire comprendre qu’ils sont des humains ayant droit au respect comme les autres : « Vous ne savez pas ce que c’est que d’être flippé tous les jours quand on va au Leclerc car on sait que notre ‘gueule’ est sur Internet lorsque l’on fait des arrestations. On est filmé 24/24h en train d’interpeller des gens, vous croyez que ça nous fait plaisir d’avoir peur lorsqu’on sort de chez nous, qu’on a une famille ? »

  • Canon à eau

Ce truc emmerde doublement, car non seulement il vous envoi de l’eau sous pression a une bonne distance (Environ 20-30 mètres), donc vous êtes d’une part trempé, mais c’est surtout que dans cette eau, il y a également des composants similaires à ce qu’on trouve dans les lacrymo. De ce fait, si votre visage est touché ou que vous avalez de l’eau, vous risquez de le sentir passé.

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Evan Forget – (SR) – 2014
  • Critique

Le soucis, c’est que tout le monde y va à sa sauce. Les nanas pseudo-écolos que tu connais pas qui te font la morale, ceux qui pensent être meilleur photographe que toi, ceux qui te connaissent pas mais qui pensent que tu vaux pas mieux que les, je cite, « connards qu’on entends sur BFM et qu’ils méritent qu’une chose, mon poing dans la gueule », ceux qui critiquent ta façon de travailler… Bref. Ça vient de n’importe où, n’importe quand, et a fortement tendance à démoraliser au bout d’un moment.

  • Concurrence

Ah les journalistes… Autant il est possible de rencontrer des gens sympa, c’est d’ailleurs en émeute que j’ai rencontré Karl et Jérémie, qui sont par ailleurs aujourd’hui des collaborateurs de Studio Raw, autant vous pourrez tombez sur de vrais connards.

Des mecs qui feront tout pour se mettre devant vous afin de vous emmerder, ceux qui critiquent votre matériel, votre accoutrement, votre façon de faire, ceux qui gueuleront parce que vous êtes dans leur champ mais qui ont la flemme de faire deux pas pour se décaler histoire de faire un autre cadrage, ceux qui vous prendront de haut parce qu’ils ont 2x votre âge et que donc ils sont par définition 2x meilleurs, bref. Je vais pas trop m’étaler sur ça, pour éviter de cracher sur la profession car ils sont loin d’être tous pareils, heureusement.

Toutefois, il faut bien garder à l’esprit qu’une bonne partie de ceux que vous rencontrerez ne va pas vous faire de cadeaux.

  • Intimidation

Un peu comme pour les agressions, il faut s’en méfier. L’intimidation et les menaces sont régulières, contrairement aux agressions plus rares dans une émeute, mais plus traumatisantes.

Certains vous agripperont le bras quand vous serez en train de prendre une photo pour vous demander ce que vous êtes en train de photographier, ou pourquoi vous êtes en train de photographier leur visage.

Je n’ai d’ailleurs jamais compris ce truc. Quelle quantité d’égo démesurée faut-il avoir pour croire que le mec venu couvrir une émeute ou pire, qui photographie une foule entière de gens, vous veulent vous, en particulier, vous qui ne représentez que 0,2% du sujet de son image. Surtout quand (et ça j’en rigole) le mec ou la nana qui vous topé a passé(e) son temps DERRIÈRE VOUS. C’est donc IMPOSSIBLE de manière PHYSIQUE que vous ayez réussi à prendre cette personne en photo !

Mais bon. Ma théorie c’est que certains veulent juste se faire remarquer, se rendre intéressant. Ou alors sont justes chiants.

Émeute du 21 février 2015
Evan Forget – (SR) – 2015

Toutefois, il ne faut pas tout mélanger. Si on prends l’exemple de cette photo ci-dessous, la jeune fille au parapluie est l’élément centrale de l’image, et il est évident que c’est elle que je prends en photo, quand on observe la scène de l’extérieur. Ainsi, si elle demande à voir l’image, ou pose une question, là c’est compréhensible.

Émeute du 21 février 2015
Evan Forget – (SR) – 2015

Autre exemple, je suis resté deux bonnes minutes, une fois, devant cet homme lors d’une manifestation (qui a mal terminé) sur Nantes, le 21 février 2015. Si je me suis permis de rester devant lui, c’est que j’ai croisé ce gars avant le début de la manif, et que nous avions discuter un peu. Il savait qui nous étions ( moi et mes camarades de Studio Raw ) et savait que je n’allais pas détourner la photo que je prenais sur le coup.

D’autant qu’ayant un viseur numérique, je voyais le rendu noir et blanc en temps réel dans mon viseur, et je trouve les noir et blanc / contraste de cette image vraiment sympa, surtout grâce à son masque blanc.

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Evan Forget – (SR) – 2015
  • Dommages collatéraux

Que vous soyez une cible ou non, il va de soit que vous risquez, comme je l’ai expliqué précédemment, d’être blessé. Même en France.

Bouteilles lancées en l’air et qui vous retombe dessus, pluie de pierres, coup perdu d’une barre de fer, voir même trébucher en ratant une bordure de trottoir masquée par une fumée de lacrymogène ou parce que justement, vous jetiez un coup d’oeil aux pierres au dessus de vous et que vous tombiez. Les débris de verre présents au sol peuvent aussi être source de danger en cas de chute, bousculade, ou d’accroupissement lors d’un cadrage.

Emeutes de Nantes, 1er Novembre 2014
Evan Forget – (SR) – 2014
Emeutes de Nantes, 1er Novembre 2014
Evan Forget – (SR) – 2014

Ayant eu une formation sauveteur secouriste, je pars avec un avantage. Je vous invite à faire de même si vous le pouvez, on ne sait jamais. Même si ce n’est pas pour savoir quoi faire sur vous-même quand le moment sera venu, dites vous que ça pourrait peut-être un jour aider quelqu’un. Les secours mettant parfois beaucoup de temps à arriver dans ce genre d’événements.

Evitez l’auto médication, ça risque d’être dangereux pour la personne (ou vous-même) voir même d’aggraver une situation (intolérance à un médicament, allergie, ou même par la suite, compliquer/fausser les examens des infirmiers) En revanche, avoir avec soit de l’eau, une compresse ou autre sera toujours bon à prendre.

  • LBD-40

Voilà bien là, la hantise suprême des manifestants. Tout simplement parce que c’est une arme qui, mal utilisée, peut causer des dégâts extrêmement importants. Beaucoup ont perdu un nez, ou un oeil à cause des projectiles de cette arme des forces de l’ordre.

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En temps que photographe ou journaliste, vous n’êtes pas à l’abri d’un projectile perdu, ou même d’être tout simplement pris volontairement pour cible, comme ce fût le cas pour moi ou d’autres près de moi, qui ont déjà été touchés par ces projectiles.

Exemple de blessure au LBD
Evan Forget – (SR) – 2012
Projectile en caoutchouc
Evan Forget – (SR) – 2014

Sur une partie du corps comme une jambe, un bras ou le ventre, ça peut vous causer un hématome d’une taille extrêmement importante dont cette dernière (et la douleur qui en résulte) dépendra bien entendu de la distance séparant le tireur de la victime. Au visage, les dégâts seront bien plus importants.

Et le problème bonus :

  • Les réseaux sociaux

Là est le piège. Une fois votre travail publié, c’est là que les gens verront ce que vous avez fait, et c’est ce que vous allez montrer et écrire qui se répercutera lors de vos prochaines sorties.

Si vous ne montrez qu’une chose : La violence des manifestants et que vous les rabaisser dans vos commentaires, nul doute que la prochaine fois que l’un deux vous reconnaitra en émeute ou manif (et pour ça ils ont une bonne mémoire, croyez moi), vous risquez de vous en prendre une belle.

En revanche, si vous ne montrez que la violence des forces de l’ordre, vous aurez là aussi quelques problèmes avec eux, qui ne manqueront pas de vous interpeller et de vous faire patienter parfois plusieurs heures POUR RIEN, juste pour vous emmerder à la prochaine sortie.

De mon côté, je publie toujours le meilleur et le pire des deux côtés, sans me soucier des conséquences. Je montre honnêtement ce que j’ai vu, en prenant soin de légender chaque image afin de lui donner du contexte.

Bien que de toute façon, il y aura TOUJOURS des gens pour critiquer ce que vous faites, au moins vous ferez un effort, et on ne pourra pas vous reprocher ça. Jusqu’à présent, ça a d’ailleurs joué en ma faveur, et je remercie sincèrement les personnes m’ayant reconnu lors de mes reportages pour l’aide qu’elles m’ont apporté dans ces moments là. Que ce soit pour des renseignements, de la nourriture, de l’eau, ou m’aider à calmer un conflit verbale avec d’autres opposants.

D’autres photographes viendront souvent critiquer injustement votre travail.

A l’image de ce que je disais en début d’article, je trouve totalement irrespectueux qu’un portraitiste qui ne sort jamais du confort de son studio, où il a un contrôle total de son image, fasse des commentaires désobligeant à quelqu’un qui n’a aucun contrôle sur les situations qu’il photographie (pose, lumière, décors..) encore plus si la personne n’était pas présente dans l’émeute au moment des faits.

Quand vous avez les poumons brulés par les lacrys, qu’au dessus de vous volent des pierres et des bouteilles, qu’à votre droite vous avez des mecs avec des barres de fer, à votre gauche un immense brasier de poubelles et de débris, et que dans votre dos, des gens poussent et bousculent, oui, il est possible de rater un cadrage. D’autant plus que la personne (votre sujet) n’est pas là pour taper la pose en attendant patiemment que vous terminiez votre image. Votre photo, vous avez un instant, soit moins d’une seconde pour la prendre. Et pas de deuxième chance. Mais ça, certains photographes ont du mal à le comprendre. Du coup, moi je les ignores.

En revanche, je prends bonne note et remercie encore ceux qui sont près de moi pendant ces événements et qui prennent la peine d’expliquer pourquoi ils n’aiment pas une image. Il faut savoir faire la part des choses.

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Evan Forget – (SR) – 2014
CRS à Hotel-Dieu (Nantes)
Evan Forget – (SR) – 2014
Le clown au coeur
Evan Forget – (SR) – 2014
Février 2014 - Nantes
Evan Forget – (SR) – 2014
Novembre 2014
Evan Forget – (SR) – 2014
Evan Forget - (SR) - 2014
Evan Forget – (SR) – 2014
Appel au calme - Nantes novembre 2014
Evan Forget – (SR) – 2014

Le matériel à utiliser

Ayant déjà rédiger un article entier sur le matériel que j’utilise en émeute il y a quelques semaines (à lire : Que faut-il pour photographier une émeute ?), je ne vais pas revenir dessus. Toutefois, j’aimerais vous faire partager un petit tips.

War photographer - Evan Forget - Photographe sur Nantes - www.ev

En général, les photographes que vous voyez utilise du matériel Nikon ou Canon. Toutefois, pour ce genre d’événement, je préfère utiliser du matériel Fujifilm. Les 3/4 des photos de cet article ont été prises avec un x100s. Le reste, avec un X-T1.

Bien que l’autofocus soit un peu moins performant, le look argentique de ces boitiers et leur compacités passent beaucoup mieux dans ce genre de manifestation. Déjà parce que ce genre d’appareil ne fait pas peur, et aussi parce que vous serez amené à courir en permanence. La légèreté sera donc de mise.

Par « peur » j’entends une chose simple : Avec un gros boitier noir et moderne, dans l’esprit des gens c’est « internet, photo, facebook, diffamation ». Alors qu’avec un appareil retro, c’est « Tiens, il fait quoi lui ? », ou bien « Argentique, donc pellicule, donc développement, donc c’est long. ».

Au même titre qu’on a une approche différente en temps que photographe avec ce genre de matériel, les personnes en face réagissent elle aussi différemment.

Moi et mon ancien x100S.
Moi et mon ancien x100S.

 

L’expérience, votre meilleur alliée.

 

Qu’on soit clair, cet article n’est absolument pas un guide de poche pour survivre dans ce genre d’événement.  Chacun étant unique, c’est comme il serait impossible de vous guider sur la photo de concert. Je donne simplement quelques conseils. Même si certains paraissent évident, ils ne le sont pas pour tout le monde.

Il n’y a que l’expérience qui pourra être votre ami sur ce genre de reportage, car aucun article ne pourra vous préparer à l’odeur des lacrys, aux menaces et aux bousculades des émeutiers, au stresse d’une arrestation ou d’une agression, ou même encore, à comment réagir dans une situation critique.

De mon côté, j’essai au maximum d’être le mieux équipé en terme de protection afin d’avoir l’esprit libre et concentré d’avantage sur mon travail que sur ma sécurité, mais surtout le plus discret possible, n’intervenant jamais. Si je suis amené à prendre la parole ou à poser mon appareil, c’est que derrière il c’est passé quelque chose de grave, et que je me sens obligé d’intervenir. Mais à 99,9%, j’essai de n’être qu’une ombre, de passage, afin de me faire oublier.

Il est également important de lever les yeux au ciel pour observer ce qu’il se passe. Même si là ça vous parait ridicule, vous verrez arriver bon nombre de projectile, et au moins, vous saurez d’où ils viennent.

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Evan Forget – (SR) – 2015

La retouche.

Sur un reportage, il est déconseiller de TROP retoucher une image. Bien sûr, des corrections standards sur l’exposition, un peu les couleurs ou les contrastes sont tolérées, mais des retouches (comme des suppressions ou ajout d’éléments) qui peuvent en changer le sens ne sont pas acceptées.

Personnellement, j’utilise le filtre Classic Chrome de mes boitiers fuji, dans les menus de l’appareil je rajoute de la netteté, je baisse la saturation, et je rajoute parfois un poil de contraste. Idem pour mes noirs et blanc, que je réalise en général directement avec le boitier.

Garder à l’esprit que si vous changez le sens d’une image, vous ne racontez plus la vérité. Alors si les photos s’inscrivent dans une démarche artistique, d’accord. Mais si elles sont publiées et utilisées pour témoigner, raconter, ou faire diffuser une information, là pas d’accord.

Le contre-coup.

Il est possible, selon votre technique de travail et le lieu/moment où vous étiez, que le lendemain, voir les deux jours suivants, soient extrêmement pénibles pour vous d’un point de vue physique.

De mon côté (ne pouvant parler pour les autres) j’ai une bonne condition physique. J’en profite pour courir à fond pendant mon reportage, être présent partout, escalader, slalomer entre les gens, bref, c’est intense. Résultat, le lendemain, j’ai tellement de courbatures que le simple fait de sortir la carte SD de l’appareil est un vrai challenge. Je n’exagère pas, je suis vraiment K.O.

Il faut savoir qu’avec tout mon équipement (photo + protections) je pèse 12,2 kilos de plus. Sachant que je fait à peine plus de 50 kilos pour 1m76, ça représente tout de même 20% de mon poids en sup’. De quoi bien épuiser, surtout si en plus de ça il fait bien chaud et que ça dure longtemps.

Il est aussi probable qu’au début, ou si vous avez été soumis à un stresse intense, vous passiez par une petite période de stresse post-traumatique. Beaucoup moins sur une manif/émeute qu’une guerilla ou zone de guerre, je vous l’accorde, mais c’est possible. Nous avons tous une sensibilité différente, il faut bien comprendre ça.

La Législation ?

Dernier point et non des moindres concernant cet article : la loi. Souvent, vous entendrez « Vous n’avez pas le droit de prendre cette photo« . Au moins 15x par manif. Alors qu’avez-vous le droit ou non de prendre, voici un bref résumé.

Vous n’avez PAS le droit de :

Manquer au respect et/ou à la dignité humaine d’une personne. Si un individu est arrêter, et qu’il a les menottes aux poignets, son visage ne doit pas être reconnaissable pour ne pas lui porter préjudice. En effet, tout juste arrêter il n’y a pas encore eu de passage devant un tribunal, donc il est encore innocent. De ce fait, c’est un manquement aux valeurs que de publier une photo de lui dans cette situation. Une personne dénudée de force ou en position indélicate ne dois pas non plus être photographiée. 

En revanche, vous avez légalement le droit de prendre en photo les forces de l’ordre si ils sont dans l’exercice de leur fonction (sauf membres du GIGN, Forces Spéciales, ou Unité Anti-Terroriste. Mais généralement, aucun de ces 3 là se trouve en manif’), les bâtiments (même les privés, à partir du moment où vous prenez votre photo depuis un lieu publique) et n’importe quel manifestant (sous réserve de dignité), car celui-ci participe à une action collective sur un lieu publique. Il a le droit de ne pas apprécier, dans ce cas ça sera au bon sens de régler cette affaire, mais légalement, personne n’a le droit de vous obliger à supprimer une image ou une vidéo.

Le principal danger, c’est de se croire en sécurité.

Comme j’ai répété plusieurs fois dans cet article et dans celui où je parle de mon équipement, vous ne serez en sécurité nul part. On s’en tape que vous photographiez une émeute à Hong-Kong, une manif contre les violences policières à Baltimore (USA), ou bien encore une émeute suite à des débordement en Espagne après de nombreux problèmes économique.

Si vous allez la bouche en coeur couvrir ce genre d’événement en vous disant que les problèmes n’arrivent qu’aux autres, vous aurez de sérieux problèmes.

C’est la même chose à chaque fois. Y’a toujours des bouteilles en l’air, des poubelles qui brulent, des gens impulsifs.. Quelle que soit la langue, la religion, ou l’origine du conflit.

Un coup de barre de fer ne fera pas moins mal à Paris qu’à Gaza, ou encore le feu ne brulera pas moins fort à Toulouse qu’à Alep.

Plus que jamais, sortez couverts, et ouvrez vos yeux, et vos oreilles.

 

Quoi qu’il arrive, faites gaffe à vous.


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LIBRE

8 commentaire sur “Comment je photographie une émeute

  1. Merci pour cet article.

    On ne se rend pas compte des risques que prennent les photographes pour nous rapporter ce types d’images (très réussies d’ailleurs).

    Bravo.

  2. Très bon article, bien réfléchi. Le port d’un gilet style gilet jaune (ou autre couleur) pour être plus facilement remarquable ne faciliterait-il pas la sécurité des journalistes dans une émeute / manif ? On le percevrait alors comme les ouvriers sur les bords de route qui portent ces gilets pour que l’on fasse attention à eux. En portant ce même gilet, tu serais comme un ouvrier de la manif (ni policier, ni manifestant) en portant une couleur qui n’est attribuée à aucun des partis de la manif.

    1. C’est ce que j’avais avant de porter ce gilet et en toute franchise : ça ne m’a servi à rien du tout.
      J’avais écris dessus mon nom et le statut « PHOTOGRAPHE » en dessous, ça n’a pas fait changer d’avis les gens. Même du côté des forces de l’ordre, et ça protège encore moins en cas de projectiles perdus et autres mésaventures.

      Et pour de la photo, c’est carrément pas discret quand on essai de faire un reportage à 35mm ou à l’UGA.

  3. Bonjour ! Merci a toi pour cet article très instructif ! Je suis actuellement dans le TGV direction Paris place de la république ou en ce 1er mai 2017 en pleine élections je vais «essayer» de photographier ma première Manif . Je part avec plusieurs handicaps…je ne connais pas Paris , je n’ai jamais photographier de manifs ou d’émeutes et je ne connais personnes sur la Capitale….mais le photoreportage me passionne donc je me lance . Je mise sur ma condition physique je suis ancien militaire et je mise aussi sur mon relationnel et ma sociabilité même si je ne me fais pas d’illusion les AntiFn que je vais croiser ne chercherons pas a copiner avec moi…j’ai prévu une trousse de secours , du décontaminant pour le gaz lacrymogènes un casque avec fixations pour ma caméra SonyActionCam j’ai moi même une bombe anti-agressions type Gel sur moi et à porter de mains . Dans ma trousse de secours j’y ai mis : désinfectant , bandage , pansement , sérum physiologique , de la crème OsmoSoft (brûlures utilisés par les pompiers) très efficace et une couverture de survie . J’espère ne pas en avoir besoin n’y pour moi n’y pour une éventuelle autre victime. Voilà peut-être que nous nous croiserons un jours ! Merci encore pour ton articles ! Gaff a toi et ton équipe !
    Mika Sanchez

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